Maintenir un manque d’intérêt.

Maintenir un manque d’intérêt.

Précisions sur les enjeux du Ribbit au regard de l’utilisation de la carte de crédit ou de la ligne de crédit d’un tiers.

 

La Torah nous fournit un guide de vie complet sur la façon de vivre nos vies en tant que juif. Sans se limiter aux domaines de la Cashrout, de l’unicité du Chabbat et de Yom Tov, et au lien spécial engendré par la Tefilah, nous recevons des instructions sur la façon de nous conduire correctement dans les domaines les plus courants et les plus banals de notre vie.

Une large partie de la Halacha régit les questions financières. Il nous est imparti, de manière divine, un vaste éventail de pratiques tant positives, dans lesquelles nous sommes appelés à nous engager, que négatives qui nous sont formellement interdites. Ceci nous donne le cadre d’action d’un Juif en matière d’argent, tant en ce qui intéresse ses affaires personnelles qu’en ce qui a trait à ses transactions avec les autres.

Un des aspects les plus pertinent de Halacha est celui qui concerne les prêts. Mis à part les prêts à grande échelle effectués entre les entreprises et les sociétés, et les prêts personnels d’hypothèques et de financement, nous avons tendance à consentir, bien que moins fréquemment, un montant assez significatif de prêts, Ainsi, il est impératif d’avoir une conscience et une compréhension rudimentaire des questions halachiques en la matière. Il nous est ordonné de prêter de l’argent à d’autres juifs, qu’ils soient amis, famille ou autres.  Consentir un prêt pour répondre à un besoin est même considéré comme une forme précieuse de Chessed. Néanmoins, s’il n’est pas exécuté conformément aux diktats de la Halacha, l’acte peut facilement se transformer d’un acte de Mitzvah le plus louable en un acte flagrant d’Aveira.

 

La Torah nous spécifie qu’en aucun cas un Juif ne peut facturer un autre Juif pour le prêt d’argent. En tant que famille, nous devons prêter sans frais, en ne recevant en remboursement que le montant exact initialement prêté, ceci, sans frais d’intérêt supplémentaires, avantages secondaires ou même avantages non physiques. C’est ce qu’on appelle l’interdiction de Ribbit. Sans une approche avertie, il est assez facile de se heurter innocemment à cette interdiction. Quelle gravité cela peut-il avoir ?  Celui d’être en violation avec six interdictions différentes, dont Chaza « l nous mettent en garde ; celui qui s’engage dans la pratique de Ribbit met toutes ses richesses en danger et risque de perdre tout son Olam Habah.

Bien qu’il s’agisse d’un sujet d’une très grande portée couvrant une immense variété de scénarios, nous nous concentrerons particulièrement sur le prêt d’argent qui permet l’utilisation par un tiers de sa carte de crédit ou d’une ligne de crédit.

 

En effet, de telles situations abondent !

  • Vous êtes dans une épicerie ou un restaurant avec un ami. Alors que vous vous préparez à partir, vous vous rendez soudain compte que vous n’avez pas d’argent sur vous. Vous demandez alors à votre ami de mettre le montant de vos achats sur sa carte, lui assurant que vous le rembourserez sous peu.
  • Votre frère passe une commande sur un site en ligne de vente. Gracieusement, il vous propose de commander pour vous et de payer la totalité de la commande dont vous acquitterez votre part plus tard.

 

Comprendre le mécanisme

Avant de s’immerger dans les applications halachiques pratiques, il est impératif de comprendre la nature fondamentale de ces transactions.

L’argent versé au magasin est mis à disposition par la banque ou le fournisseur de crédit, faisant de la banque le « prêteur ». Le destinataire des biens ou des services est celui qui a « emprunté » l’argent en utilisant la carte. Le titulaire réel de la carte semble ne pas être impliqué, ne servant que d’intermédiaire entre la banque et l’utilisateur de la carte qui remboursera plus tard.

Cette perception semble assez illusoire car en réalité, la banque ne reconnaît uniquement que le titulaire de la carte. La banque a seulement accepté d’accorder un crédit au titulaire de la carte et conformément à cet accord, le titulaire de la carte est seul responsable de tous les frais portés au compte. Si les frais sur la carte restent impayés, la banque peut et continuera à se faire rembourser par le seul titulaire de la carte. Ce dernier n’aurait aucun recours pour s’exonérer en plaçant la responsabilité sur l’utilisateur.

Dès lors, lorsque des frais sont passés, la banque ne considère que le titulaire de la carte comme l’emprunteur. L’arrangement par lequel l’utilisateur reçoit le bien ou l’avantage et accepte de rembourser la charge est en fait un tout nouvel arrangement entre le titulaire de la carte et l’utilisateur.

Pour mettre cela en perspective – Utiliser la carte de crédit de quelqu’un, est exactement ce que décrit la halacha comme celui qui retire de l’argent de son compte bancaire à un guichet automatique, se retourne et le prête à un ami.

Il s’agit essentiellement de l’occurrence simultanée de deux transactions complètement indépendantes. Une transaction a lieu entre la banque et le titulaire de la carte. L’autre se situe entre le titulaire de la carte et celui qui utilise la carte.

Peut-on donc autoriser un ami à utiliser sa carte de crédit? Car bien que l’utilisateur ne rembourse que le montant en dollars qu’il a emprunté, le titulaire de la carte recevra en plus du remboursement, des points, des miles ou d’autres avantages à la suite de ces dépenses. Le titulaire de la carte recevant finalement en retour plus qu’il n’a prêté, est-ce une violation des lois de Ribbit?

Comme nous l’avons expliqué plus haut, l’utilisateur de la carte emprunte, en fait, du titulaire de la carte et non de la banque. Ce prêt est techniquement sans intérêt. L’utilisateur remboursera au titulaire de la carte le seul montant emprunté. Après tout ce n’est pas lui qui fait gagner des points, des avantages ou des récompenses au titulaire de la carte.

Il faut cependant préciser, que même si l’avantage supplémentaire pour le titulaire de la carte vient de l’émetteur de la carte et non de l’emprunteur, ceci n’est pas suffisant pour dissiper l’inquiétude du Ribbit. En fait, il est interdit de structurer un prêt de manière à garantir du Ribbit même lorsque le Ribbit est payé par un tiers. On ne peut pas prêter de l’argent sans intérêt à un autre Juif avec la stipulation qu’une autre personne paiera du Ribbit ou fournira un avantage en reconnaissance du prêt accordé.

L’explication que l’on peut avancer ici, est que celui qui utilise la carte n’a en fait jamais fourni aucune garantie que celui qui prête la carte recevra un avantage. En vérité, cela ne fait aucune différence pour l’utilisateur de la carte, quelle que soit la carte qu’il utilisera. D’ailleurs, de nombreuses cartes de crédit, ainsi que la plupart des cartes de débit et de compte prépayé, ne fournissent aucun point. Si le titulaire de la carte choisit de fournir à l’utilisateur une carte qui rapporte des points, il fait un choix tout à fait personnel, sans aucune implication sur le prêt à l’utilisateur de la carte. À titre d’illustration: si l’utilisateur de la carte, pour une raison quelconque, choisit de ne pas attribuer de points pour la transaction, le titulaire de la carte n’aurait naturellement aucun motif de prétendre ensuite que l’utilisateur de la carte l’aurait induit en erreur ou n’avait pas le pouvoir d’utiliser la carte [1].

En tant que tel, le prêt entre le titulaire de la carte et l’utilisateur de la carte reste une transaction à rembourser à parité, sans Ribbit, et est totalement autorisé.

Dans le cas où la personne utilisant la carte ne rembourserait pas le titulaire de la carte à temps, ce qui entraînerait des pénalités et / ou des intérêts pour le titulaire de la carte, l’utilisateur de la carte devrait-il rembourser ces frais au titulaire de la carte?

Encore une fois, il est essentiel de comprendre qu’en substance, deux prêts distincts sont présents. Ainsi, lorsque la banque ou l’émetteur de la carte facture des pénalités ou des frais, ils ne facturent pas l’utilisateur, mais facturent plutôt le titulaire de la carte pour son défaut de rembourser son prêt en temps opportun. C’est une affaire entre la banque et le titulaire de la carte uniquement.

Pour que le titulaire de la carte puisse facturer à l’utilisateur cet intérêt, il faudrait essentiellement créer une obligation d’intérêt sur le second prêt, celle entre le titulaire de carte et l’utilisateur. L’utilisateur emprunte un montant et le retourne avec intérêt, ce qui constitue une violation directe de l’interdiction de Ribbit. Même si l’utilisateur payait les intérêts à la banque et non directement au titulaire de la carte, ceci n’effacerait pas le problème. L’utilisateur n’ayant jamais emprunté à la banque, cette action ne représente rien d’autre que le remboursement d’une dette personnelle du titulaire de la carte, ce qui équivaut à payer le titulaire de la carte lui-même, et, serait totalement interdit.

Il est difficile de surestimer l’importance pour chaque individu de tenir compte de cette question avant d’autoriser toute utilisation importante de ses cartes de crédit ou de sa marge de crédit. Alors que la plupart des gens considéreront la probabilité que l’utilisateur fasse complètement défaut et ne rembourse pas, beaucoup ne réalisent pas que même si l’utilisateur paie la somme dans son intégralité, il suffit d’un jour ou deux de retard, pour que le titulaire de la carte soit frappé d’un montant énorme d’intérêt, qui lui sera pratiquement impossible de récupérer.

 

 

Bien que, comme nous venons de le voir, il soit interdit à l’utilisateur de payer les frais d’intérêts encourus, ainsi qu’au titulaire de la carte d’accepter ce paiement, il convient de noter qu’il existe, en particulier, des frais que l’utilisateur serait autorisé à rembourser.

Prenons le cas suivant: Supposons que l’utilisateur ait pris les devants et organisé directement le paiement à la société émettrice de la carte de crédit, en prélevant des fonds sur son propre compte bancaire. Par la suite, lorsque la société de carte de crédit tente de retirer les fonds, la tentative est rejetée en raison de fonds insuffisants sur le compte. La société émettrice de la carte de crédit inscrit immédiatement un frais de paiement rejeté sur la facture de carte de crédit.

Dans ce cas, l’utilisateur peut et doit rembourser les frais encourus. Les lois de Ribbit interdisent tout frais pour le prêt ou la durée du prêt. Ces frais, cependant, n’ont rien à voir avec le prêt en soi et ne sont qu’une pénalité pour avoir déclenché une transaction défectueuse. Bien que les frais bancaires soient dirigés vers le titulaire de la carte, et non vers l’utilisateur, le titulaire de la carte est également pleinement autorisé à facturer ces frais à l’utilisateur pour le remboursement défectueux.

En résumé : un titulaire de carte ne peut pas facturer de frais pour l’utilisation de sa carte, ni répercuter des frais d’intérêt[2].  Il peut toutefois facturer des frais pour une action spécifique tel qu’un paiement erroné, car il s’agit de frais de service, et non de frais liés à la prolongation du prêt lui-même.

Quels autres problèmes de Ribbit peuvent résulter de l’utilisation d’une carte de crédit ?

Une question particulièrement pertinente se pose ici à Montréal concernant les transactions transfrontalières. Supposons que l’utilisateur utilise la carte pour effectuer un achat dans un magasin ou un site Web américain. Les frais au magasin sont de 100 $ US, mais sont facturés à la carte canadienne à 125 $ CAD. S’agit-il d’un prêt en devises canadiennes ou américaines ? Que se passe-t-il si le taux de change fluctue même de manière minimale avant le remboursement ? Si nous classifions cette transaction comme un prêt en dollars américains et que le dollar canadien augmente par rapport à l’USD, 100 dollars américains ne valent désormais plus que 120 dollars canadiens, créant ainsi un cas selon lequel le remboursement de 125 dollars canadiens constituerait une violation de la loi de Ribbit. De plus, même si le remboursement a eu lieu avant tout changement de taux, il est important de noter que Halacha interdit même de créer une telle configuration ou il y aurait une possibilité d’incorporer du Ribbit. Il existe un grand nombre de scénarios possibles avec maintes variables, et un article à part entière sera nécessaire pour traiter le sujet en détail.

 

 

 

 

[1] [1] Même s’il existait une situation hypothétique dans laquelle chaque méthode de crédit unique attribuerait des points, « garantissant » effectivement un retour sur l’utilisation de la carte, il n’y aurait probablement pas de problème de ribbit. Comme expliqué, il existe deux prêts totalement indépendants. Les points sont attribués par l’émetteur de la carte en reconnaissance du prêt entre l’émetteur et le titulaire de la carte. Aucun point n’est accordé pour le prêt entre le titulaire de la carte et l’utilisateur de la carte.

[2]  Cette entente selon laquelle l’utilisateur de la carte ne peut rembourser au titulaire de la carte les frais d’intérêts encourus doit être claire pour les deux parties avant la transaction faite avec la carte. La Torah interdit la mise en place d’un prêt avec intérêt, même si, l’intérêt ne devait jamais être perçu. Ainsi, si au moment de l’utilisation de la carte, il était entendu que l’utilisateur paierait les frais, les deux parties violeraient (peut-être par inadvertance) l’interdiction de Ribbit.

 

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